Rarement j’ai mis autant de temps à finir un livre. Ni Notre Dame de Paris et ses longues descriptions architecturales, ni les grands romans russes avec 10 prénoms pour 100 personnages, ne m’ont causé autant de difficultés.
Moby Dick, ce sont plus de 900 pages dont les trois quarts sont consacrés à un état des lieux exhaustif de tout ce que les hommes du XIXe siècle savaient sur les cétacés.
Leur anatomie, leurs déplacements, jusqu’aux fossiles de leurs ancêtres, et surtout la façon dont on extrait les différentes ressources exploitées à l’époque dans leurs gigantesques corps : leurs os, l’ambre gris, substance parfumée qui n’est autre que le produit de la digestion du cachalot, et surtout le spermaceti, liquide présent dans la tête de l’animal, qui servait notamment à s’éclairer.
Entre ces chapitres encyclopédiques, quelques épisodes épiques de chasse proprement dite, de nombreux éloges aux baleiniers dont Herman Melville s’efforce de redorer le blason en vantant leur courage et leur ingéniosité, et de multiples considérations métaphysiques au lyrisme exacerbé. Ce n’est qu’au dernier quart du livre que l’on passe enfin des trop nombreux passages supposés renforcer la crédibilité du récit, à l’action pure.
Ainsi, lorsque j’aurai par la suite à insister sur les manifestations particulières et les concentrations d’énergies spéciales de la puissance fabuleuse partout répandue, partout recelée dans ce monstre ; lorsque j’aurai à vous raconter tels hauts faits à vous casser la tête de ce héros, j’aime à croire que vous aurez quitté tout scepticisme de pure ignorance et que je vous trouverai prêt à me suivre sans sourciller ; et que même si je vous dis que le cachalot s’est creusé de la tête un passage à travers l’isthme de Darién, mêlant ainsi au Pacifique l’Atlantique, pas un poil de vos arcades ne se haussera.
C’est sans parler des monologues dignes d’une tragédie grecque dont on doute très franchement qu’un homme en plein naufrage se fende.
Pourtant j’ai refusé de renoncer. Les multiples références que je rencontrais dans mes séries, livres et BD préférés, ont fait de Moby Dick un incontournable que je me devais de finir.
Je saisis pourquoi l’ouvrage est devenu un classique – on n’a encore jamais vu autant de poésie dans un récit d’aventures. La citation ci-dessous, par exemple, est une magnifique périphrase visant à décrire le mode de reproduction des cachalots. Si.
Quand ils débordent de mutuelle estime, les cachalots se connaissent more hominum.
Le nom des personnages à lui seul suffit quant à lui à sentir la dimension biblique que l’auteur a voulu insuffler à son œuvre.
Mais je reprendrai simplement les mots d’un des protagonistes au narrateur :
Pouviez pas le dire plus court ? me dit Flask.
Bien que j’ai compris le souci de véracité allié à la volonté d’anoblir son sujet d’Herman Melville, les effets de style¹ et envolées théâtrales comme les dissertations cétologiques m’ont fatiguée à un point difficilement concevable. Le rythme est au diapason de la traversée, longue et épuisante, pour un final presque expédié (mais non sans le traditionnel monologue dramatique).
C’est d’autant plus frappant en comparaison avec La tragédie de l’Essex, l’histoire vraie du naufrage d’un baleinier racontée par Owen Chase, l’un de ses survivants que Melville lui-même a rencontré (l’anecdote est d’ailleurs abordée dans les pages de Moby Dick). Ce petit récit façon journal de bord m’a été envoyé par les éditions La découvrance (spécialisées dans tout ce qui a trait au voyage et à la navigation) dans le cadre de l’opération Masse critique de Babelio.
Si Moby Dick est l’histoire d’une traque obsessive et un aperçu détaillé du quotidien à bord d’un navire baleinier, La tragédie de l’Essex est la chronique franche et purgée de toute fanfreluche littéraire des épreuves traversées par d’infortunés marins suite à leur naufrage.
Le seul point commun entre ces deux livres, c’est la croyance des auteurs en la cruauté des baleines – Herman Melville n’ayant pourtant pas manqué de donner une profusion de détails sur le caractère sanguinolent de leur exécution. Moby Dick, c’est l’histoire d’un capitaine aveuglé par sa folie de vengeance qui entraîne ses hommes vers un danger mortel. La tragédie de l’Essex est celle d’un équipage victime de la malchance, mais qui saura puiser dans sa force morale et sa solidarité pour survivre.
Si brut et humble que soit le récit d’Owen Chase, la faim et la soif (qui les pousseront aux pires extrémités), la souffrance physique et morale des naufragés sont poignantes et les notes de bas de page ainsi que l’épilogue du traducteur (commentant les choix de l’équipage, le réalisme du récit ou apportant des éclaircissements sur les termes nautiques) sont un complément agréable et instructif à la lecture – et même potentiellement utiles à un navigateur moderne.
De quoi vous faire préférer la montagne pour vos prochaines vacances.
¹ J’ai lu la traduction d’Armel Guerne, paru en 2011 aux Éditions Libretto
3 commentaires
Moby Dick est dans mes envies lecture depuis un bout de temps et je n’ai pas encore trouvé l’occasion/le courage de me lancer. Ton article renforce un peu mon appréhension, meme si je sais que je finirai par le lire malgré tout.
Et merci pour le second titre que je ne connaissais pas, je commencerai peut-être l’immersion par celui-ci plus court et plus limpide !
J’aurais honte d’avouer depuis combien de temps je suis dessus ! Ça se compte en mois… D’un autre côté je ne me vois pas mentir et dire que je l’ai lu aisément, ni que j’ai adoré, juste parce que c’est un classique. Pour ma défense j’ai la fâcheuse manie d’attaquer plusieurs livre en même temps, mais Moby Dick ne se lit clairement pas d’une traite ou par petits bouts au fur et à mesure dans les trajets de métro !
Mais à l’énième référence dans une série, j’ai craqué, il fallait que je me fasse ma propre opinion. C’est un peu un accomplissement dans sa vie de lecteur quand on arrive au bout 😉 surtout que le sujet n’est pas particulièrement joyeux. Je suppose qu’il faut être dans un état d’esprit favorable…
Après si cela peut te motiver, et chose que je n’ai pas encore écrite dans cet article, ça permet de se positionner radicalement dans ses goûts de lecteur… Et d’écrivant, ce qu’on est tous en tant que blogueurs !
[…] récit, qui s’inscrit bien dans la continuité de mes dernières lectures, notamment de Moby Dick ou de L’appel de Cthulhu. Pourquoi après tout passer des centaines de pages à faire […]