C’est une lecture pas comme les autres que je vous propose aujourd’hui. Pas tout à fait un roman, pas tout à fait une biographie, mais une enquête sur un homme que l’Histoire aurait probablement oublié sans l’obsession de son arrière-petite-nièce, journaliste née en 1959 à Oran, en Algérie.
Ce n’est pas le coup d’essai de Brigitte Benkemoun puisqu’elle a déjà publié en 2012 La petite fille sur la photo, une enquête retraçant déjà l’histoire de sa propre famille, en l’occurrence de ses parents pieds-noirs qui ont quitté l’Algérie alors qu’elle n’avait que 3 ans.
Pour Albert le Magnifique, elle est remontée encore plus loin dans l’Histoire, à l’aide de témoignages de parents plus ou moins éloignés aux mémoires en puzzle, d’actes d’état civil et remplissant les vides que les archives ne suffisent pas à combler par l’appui de témoignages de contemporains, de travaux d’historiens ou de sa propre imagination.
C’est à la fois déroutant lorsqu’on perd la notion de ce qui est prouvé et de ce qui n’est que spéculation, et passionnant. Une fois établies l’appartenance religieuse et les préférences sexuelles d’Albert Achache-Roux, il ne reste au lecteur que peu d’espoir sur l’issue de sa destinée. Né à une époque où le décret Crémieux accorde aux juifs d’Algérie la nationalité Française mais où l’antisémitisme cause de violentes émeutes et où l’affaire Dreyfus divise l’opinion, il quitte ses terres natales pour Nice, sans doute dans le but de vivre sa sexualité de manière plus libre.
Les personnages qui peuplent Albert le Magnifique lui sont tous reliés. Famille envahissante, amants fortunés, femmes bafouées desdits amants, chacune de leurs histoires permet de reconstruire la trajectoire d’un aventurier né dans un siècle qui lui était hostile. J’ai également appris bien des choses sur les traditions juives qui m’étaient inconnues. Le portrait d’Albert permet enfin de retracer une série d’événements tragiques et les tensions qui éclatent de tout côté jusqu’au paroxysme de l’horreur auquel Albert, déporté à Auschwitz en 1943, ne survivra pas.
Bouleversant et débordant de tendresse, ce livre est précieux à de nombreux niveaux : parce qu’il contribue à un devoir de mémoire plus que jamais nécessaire (je suis terrifiée d’avoir établi des parallèles entre les horreurs traversées par la famille d’Albert et l’actualité de notre époque), parce qu’il rappelle les intolérances subies par les homosexuels, et enfin parce qu’il invite le lecteur à la vigilance contre la haine et l’appât du gain qui mènent tout droit à l’impardonnable.
Merci à Netgalley et aux éditions Stock qui m’ont permis de lire cet e-book !